#52 L’étrange confort du cynisme | 13/09/2025
Il y a une forme de lucidité froide dans le cynisme. Ne plus croire en rien, ne plus s’enthousiasmer, ne plus espérer trop fort : c’est se protéger. Contre les déceptions, contre les illusions, contre la naïveté. Le cynique n’attend plus rien, et dans ce détachement, il trouve une paix amère. C’est une carapace élégante, une façon de dire : « Je ne suis pas dupe ».
Mais ce confort a un prix. À force de méfiance, on ferme les portes avant même de les ouvrir. On désamorce tout engagement, toute possibilité de transformation. On juge les élans sincères avec ironie, on sabote les tentatives avant qu’elles n’aient pu fleurir. Le cynisme devient une prison sans barreaux, où rien n’a d’importance — et donc rien ne peut vraiment toucher.
Refuser le cynisme, ce n’est pas être naïf. C’est accepter d’être vulnérable. C’est reconnaître que croire en quelque chose — ou en quelqu’un — comporte un risque, mais que ce risque est le prix du vivant. Car si le cynique évite la chute, il évite aussi l’élévation. Et une vie sans élans, même désordonnés, finit par ressembler à un long commentaire à distance. Alors mieux vaut parfois croire, échouer, recommencer… que d’observer, à l’abri, en se disant que tout est déjà perdu.
Avec SERUM, ne jugez pas l'autre, comprenez-le.
#51 Le rejet du vieillissement | 06/09/2025
Dans une époque qui célèbre la jeunesse comme un sommet de vitalité, vieillir semble une défaite silencieuse. Le corps qui ralentit, le visage qui change, la mémoire qui vacille : tout cela doit être maquillé, retardé, nié. Le marché du bien-être promet de « rester jeune », comme si le simple fait de vieillir était devenu une anomalie à corriger.
Mais ce rejet du temps creuse un malentendu profond. Vieillir, ce n’est pas seulement décliner : c’est transformer. C’est laisser apparaître d’autres formes de force, de douceur, de lucidité. C’est découvrir qu’une vie ne se mesure pas à l’éclat de l’image, mais à la densité des jours. Refuser de vieillir, c’est parfois refuser de grandir. Et c’est aussi nier une partie essentielle de la condition humaine : sa finitude.
Redonner au vieillissement sa dignité, ce n’est pas le romantiser. C’est simplement admettre qu’il n’est pas un échec, mais un accomplissement en soi. Le monde n’a pas besoin de visages éternellement lisses. Il a besoin de regards traversés par le temps, de récits vécus, de présences lentes. Car dans une société qui ne valorise que l’élan, c’est souvent la mémoire qui devient résistance.
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#50 L’urgence comme mode de vie | 30/08/2025
Tout va vite. Il faut répondre maintenant, agir vite, décider dans l’instant. Les notifications dictent le rythme, les délais se réduisent, les respirations deviennent des parenthèses rares. L’urgence, au départ exceptionnelle, est devenue permanente. Elle structure nos journées, nos échanges, nos pensées. On vit dans l’accélération, comme si ralentir était un luxe coupable.
Mais cette précipitation constante finit par désorienter. Elle brouille nos priorités, érode notre attention, nous prive du recul nécessaire pour comprendre ce que l’on vit. L’urgence nous tient éveillés, mais elle nous empêche de nous poser. Elle stimule, mais elle vide. Le présent se comprime, le futur devient une menace, et le passé… un souvenir flou, sans relief.
Vivre lentement, aujourd’hui, c’est presque résister. C’est affirmer que tout ne mérite pas d’être immédiat. C’est redonner de la densité à ce que l’on fait, du souffle à ce que l’on ressent. Ce n’est pas refuser d’agir, mais choisir quand et comment. Ce n’est pas fuir le réel, mais lui redonner sa juste place. Car ce que l’on fait dans la hâte ne dure pas. Et parfois, la vraie urgence, c’est de retrouver le temps long.
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#49 La peur de l’invisible | 23/08/2025
Ce qui ne se voit pas dérange. Ce qui ne s’explique pas, inquiète. Dans un monde obsédé par la preuve, par la donnée, par la traçabilité, l’invisible devient suspect. L’intuition, le mystère, le doute sont relégués à l’arrière-plan, remplacés par des certitudes immédiates, des chiffres, des images. On veut tout comprendre, tout montrer, tout justifier.
Mais tout ce qui est essentiel n’est pas mesurable. L’amour, la loyauté, la solitude, le pressentiment : ces réalités ne se capturent pas en graphiques. Elles s’éprouvent dans le silence, dans l’indéfini. Et pourtant, elles orientent nos vies bien plus que ce que l’on peut prouver. À force d’exiger des signes tangibles, on risque d’appauvrir notre rapport au monde. Car un monde sans invisible est un monde sans profondeur.
Ce n’est pas un appel à renoncer à la clarté, mais à réhabiliter l’inconnu. À accepter qu’il existe des choses qu’on ne contrôle pas, qu’on ne vérifie pas, qu’on ne met pas en lumière. Ce n’est pas de l’ignorance, c’est de l’écoute. Accorder sa confiance à ce qui échappe au regard, c’est ouvrir un espace plus vaste en soi. Et peut-être qu’une part de notre humanité réside justement dans cette capacité à croire sans voir.
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#48 La vertu de la monnaie sociale | 16/08/2025
Il ne suffit plus d’agir, il faut montrer que l’on agit bien. Afficher ses choix responsables, ses engagements, ses bonnes pratiques devient un signe de valeur. À l’ère de la visibilité, la vertu s’expose, se documente, se performe. Elle devient un atout symbolique, une preuve de conformité à un idéal collectif mouvant.
Ce n’est pas la bonté qui est en cause, mais son usage. À partir de quand un geste altruiste cesse-t-il d’être un acte, pour devenir un argument ? Pourquoi la moindre action bienveillante doit-elle être rendue publique ? Le bien, désormais, ne se suffit plus à lui-même : il doit se voir. Et plus il se montre, plus il se prête à la mise en scène.
Dans ce jeu, le risque est de confondre l’apparence de la vertu avec sa substance. Agir pour être vu, c’est parfois oublier pourquoi l’on agit. Chercher l’approbation, c’est courir le risque de perdre la sincérité. Il ne s’agit pas de fuir toute reconnaissance, mais de préserver un espace intérieur, un lieu où l’on agit parce que cela nous semble juste, même si personne ne le saura. Car la vertu la plus profonde est peut-être celle qui ne demande rien en retour, pas même d’être remarquée.
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#47 L’éclatement des récits communs | 09/08/2025
Pendant longtemps, une société tenait grâce à quelques histoires partagées : des mythes, des idéaux, des promesses collectives. On n’y croyait pas toujours pleinement, mais elles offraient un langage commun, une toile sur laquelle chacun pouvait inscrire son parcours. Aujourd’hui, ces récits s’effilochent. Chacun parle depuis sa propre histoire, sa propre vérité, sa propre douleur.
Ce morcellement donne une impression de liberté : on peut enfin raconter ce qu’on est, dans toute sa singularité. Mais à force d’habiter des bulles narratives, on perd le goût – et parfois la capacité – d’écouter ce qui ne nous ressemble pas. Le dialogue devient difficile, car il ne repose plus sur un sol partagé. Il n’y a plus de cadre commun, seulement des expériences juxtaposées. On ne débat plus, on affirme. On n’argumente plus, on témoigne.
Face à cette fragmentation, la tentation du repli menace : vers ceux qui pensent comme nous, ressentent comme nous, parlent notre langue intérieure. Pourtant, vivre ensemble demande un effort plus grand que la proximité : il exige d’accepter ce que l’on ne comprend pas encore. Ce n’est pas l’uniformité qu’il faut retrouver, mais un terrain d’entente. Un récit commun ne nie pas les différences : il les relie. Et sans ce fil, chacun parle, mais plus personne n’entend.
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#46 La mise en scène du malheur | 02/08/2025
Parler de soi est devenu courant. Raconter ses épreuves, ses blessures, ses failles : c’est un geste de courage, de partage, parfois de guérison. Mais dans un monde saturé de récits, une autre dynamique s’installe. Plus on expose sa douleur, plus elle devient visible, likée, commentée. L’intime se transforme en contenu. Le malheur entre en scène.
Ce n’est pas que la souffrance soit fausse, ni que le besoin de l’exprimer soit illégitime. Mais quand le regard des autres devient le miroir principal, le récit peut se figer. On ne souffre plus seulement, on performe sa vulnérabilité. On la raconte pour qu’elle soit reçue, validée, reconnue. Et parfois, inconsciemment, on la prolonge pour continuer à exister aux yeux du monde. La tristesse devient un rôle difficile à quitter.
Il ne s’agit pas de condamner la parole, mais de retrouver l’espace du silence, de la discrétion, du soin loin des projecteurs. Tout ne doit pas être partagé pour être réel. La douleur la plus profonde est souvent celle qui se vit en dehors des regards. Ce que l’on tait ne disparaît pas. Il prend racine. Et parfois, c’est loin du récit que naît la réparation.
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#45 La nostalgie programmée | 26/07/2025
Il arrive qu’on ait le mal du passé sans même savoir à quoi il correspond. Une chanson récente, conçue pour rappeler une époque que l’on n’a pas connue. Une image filtrée qui imite les vieilles pellicules. Des objets neufs fabriqués pour avoir l’air usés. Ce n’est pas une mémoire, c’est une émotion fabriquée. Une nostalgie que l’on ne vit pas vraiment, mais que l’on consomme.
Les plateformes, les marques, les récits visuels recréent des passés accessibles, idéalisés, parfaitement calibrés pour provoquer une tendresse immédiate. Même nos souvenirs deviennent un marché. On ne se souvient plus parce qu’on a vécu, mais parce qu’on a été exposé à une ambiance supposée familière. On nous offre du souvenir préfabriqué, à ressentir comme on suit une tendance. Et à force d’être sollicitée, notre mémoire perd de son poids.
Mais que vaut une nostalgie qui n’est rattachée à rien ? Peut-on encore construire un présent solide si l’on habite un passé que l’on n’a pas traversé ? Cette douceur artificielle finit par nous éloigner de l’expérience brute, de l’imperfection du réel. Et elle insinue que c’était mieux « avant », même quand cet avant n’a jamais existé. Il ne s’agit pas de refuser la douceur du souvenir, mais de veiller à ce qu’elle reste ancrée. Car un monde saturé de nostalgie risque d’oublier de vivre ce dont il se souviendra vraiment.
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#44 L’usure de l’indignation | 19/07/2025
Il fut un temps où l’indignation était un sursaut, une secousse morale face à l’inacceptable. Elle surgissait rarement, mais avec une force qui mobilisait, rassemblait, transformait. Aujourd’hui, elle est partout. Chaque jour, une nouvelle cause, une nouvelle alerte, une nouvelle révolte. Tout choque, tout offense, tout mérite un cri. Mais à force de se répéter, l’indignation s’épuise.
Quand elle devient réflexe, elle perd sa profondeur. Elle ne s’appuie plus sur une lente digestion de la réalité, mais sur l’instantané, l’émotion pure, le titre lu trop vite. On s’indigne parfois plus pour exister dans le débat que pour le débat lui-même. Et dans ce vacarme moral, les vraies injustices se noient dans un flot de micro-colères. On ne sait plus hiérarchiser, discerner, écouter. L’indignation devient bruit, non signal. Elle attise plus qu’elle ne fédère.
Ce n’est pas l’indignation qu’il faut abandonner, mais sa superficialité. Il ne s’agit pas de devenir insensible, mais de redonner du poids à nos élans. Refuser de réagir à tout, ce n’est pas être indifférent : c’est choisir de répondre autrement, avec lucidité, avec recul. L’indignation la plus puissante n’est pas celle qui s’exhibe, mais celle qui engage. Et peut-être faudrait-il réapprendre à ne pas crier tout de suite pour agir plus loin.
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#43 L’ultraspécialisation de l’individu | 12/07/2025
À mesure que le monde devient plus complexe, l’expertise est devenue une nécessité. On valorise ceux qui creusent profond, qui maîtrisent un domaine jusqu’au moindre détail. Mais cette verticalité a un prix : celui de l’étroitesse. L’individu ultra-spécialisé excelle dans un champ si précis qu’il en vient parfois à ignorer tout ce qui l’entoure. Il connaît parfaitement un arbre, mais oublie qu’il pousse dans une forêt.
Là où jadis la culture générale permettait de relier les disciplines, l’hyperspécialisation cloisonne. Le médecin n’est plus qu’un organe, l’ingénieur un protocole, le chercheur un chiffre. Le reste devient périphérique, secondaire, presque inutile. La pensée se fragmente, les regards se rétrécissent, et l’on assiste à un paradoxe : plus l’on comprend en profondeur, moins l’on saisit l’ensemble. Ce découpage du savoir façonne aussi les relations humaines, où l'on devient parfois "défini" par sa fonction et non par sa manière d'exister au monde.
Mais un savoir sans vision d’ensemble peut-il encore être porteur de sens ? Si l’on connaît tout d’un mécanisme mais rien des conséquences qu’il engendre, que vaut cette connaissance ? Il ne s’agit pas de rejeter la précision, mais de rappeler qu’elle doit s’inscrire dans un regard plus large. Car comprendre, ce n’est pas seulement maîtriser, c’est aussi relier. Et ce que l’on ne relie plus finit tôt ou tard par nous échapper.
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